Il devient de plus en plus évident de dessiner un parallèle entre l'évolution des réseaux informatiques et celle des réseaux de diffusion de l'énergie.
Avant les années 80, les calculs informatiques étaient centralisés et hébergés sur d'énormes machines (mainframes ou grands systèmes). En 1981, le Personal Computer, le célèbre PC, faisait son apparition : il bouleversera ce modèle concentré. Au point qu'il est possible aujourd'hui de bâtir des architectures de supercomputing - ce qu'on appelle des grilles de calcul ou grid - en reliant des millions d'ordinateurs personnels et en tirant parti de leur puissance en sommeil.
Le monde de l'énergie prend le même chemin. A côté des centrales de production d'électricité commencent à cohabiter des micro-générateurs d'énergie personnelle : petit éolien, capteurs solaires...
Comme pour les grilles de PC, il sera à l'avenir possible d'imaginer un modèle décentralisé de production d'énergie en plaçant en réseau les systèmes de production d'électricité des particuliers.
C'est l'idée - certes pas nouvelle, mais qui pourrait se concrétiser et se répandre désormais plus massivement - développée par Maximilien Rouer dans sa dernière chronique parue dans La Tribune.
La chronique de Maximilien Rouer :
"Après l'informatique, l'énergie et l'eau en réseau"
Pour Maximilien Rouer, PDG de BeCitizen, un réseau mondial permettra demain d'utiliser et de mettre en réseau la capacité de chaque surface à capter de l'énergie, que ce soit pour produire de l'électricité, de la chaleur, de la biomasse, ou traiter des pollutions.
Demain, un réseau mondial permettra d'utiliser et de mettre en réseau la capacité de chaque surface à capter de l'énergie, que ce soit pour produire de l'électricité, de la chaleur, de la biomasse, ou traiter des pollutions.
Lors de la naissance de l'informatique, après la Seconde Guerre mondiale, les spécialistes imaginaient un monde futuriste géré par quelques mégaordinateurs, reliés aux hommes par des milliards de terminaux sans intelligence. En 1951, un mathématicien de Cambridge, Douglas Hartree, expliquait dans la revue American Scientist que nul n'aurait jamais besoin d'ordinateur individuel et que tous les calculs qui seraient jamais nécessaires au Royaume-Uni pourraient être effectués sur trois ordinateurs alors en cours de fabrication - cette opinion, dominante à l'époque, sera plus tard attribuée, sans doute à tort, au président d'IBM.
En 2008, le monde compte plus de 800 millions d'ordinateurs individuels et 1,35 milliard de cerveaux humains connectés à Internet. Les mégaordinateurs existent toujours pour servir les besoins de projets scientifiques ou de multinationales mais une myriade d'ordinateurs personnels connectés par Internet s'ajoute à cette informatique centralisée. Les deux réseaux coexistent, se nourrissent mutuellement et renforcent la capacité de calcul du tout, ainsi que sa résistance systémique. C'est ainsi que le World Community Grid, sponsorisé par IBM, permet à la communauté scientifique d'accéder à des milliers de PC individuels et d'utiliser le temps de dormance de chaque machine pour des projets scientifiques nécessitant de grosses puissances de calcul. Grâce à cette "informatique répartie", 44 nouveaux traitements pour la variole ont pu être découverts en moins de trois mois...
L'énergie, l'eau et les déchets suivent la même tendance. Les solutions centralisées de fourniture de telles utilities ont encore de beaux jours devant elles mais elles vont de plus en plus coexister avec des solutions décentralisées. À côté des centrales thermiques, dont la puissance se compte en centaines ou milliers de mégawatts, se développent des milliers d'unités décentralisées qui vont de quelques kW (pour une pompe à chaleur ou des panneaux solaires individuels) à quelques MW (pour une grande éolienne). Les mêmes technologies peuvent d'ailleurs fonctionner en mode "central" - par exemple, un champ regroupant 20 éoliennes de 2 MW chacune - ou en mode "réparti" - par exemple, 2.000 éoliennes de 20 KW chacune, installées sur des toits ou sur des lampadaires d'autoroutes, qui fournissent la même puissance mais sur un territoire plus grand. En février 2008, EDF a créé une filiale Énergies Nouvelles réparties: un petit pas vers une mutation que certains voient comme un changement de société.
Jeremy Rifkin décrit ainsi un monde où chacun est tour à tour producteur et utilisateur d'énergie selon les moments de la journée. Le réseau informatique pourrait alors fonctionner en synergie avec un réseau d'échange d'énergie, permettant d'identifier en permanence qui est demandeur ou offreur.
De même, les grandes centrales de traitement et d'épuration d'eau, en amont et en aval des villes, qui peuvent traiter les effluents de plusieurs centaines de milliers d'habitants, sont amenées à cohabiter avec des solutions plus légères, au niveau individuel, ou des bâtiments de quelques centaines de logements. Ces solutions réparties ont plus d'un atout. Demandant moins d'investissement, elles sont adaptées aux pays émergents. Leur impact est plus facile à maîtriser, et peut être même positif pour l'environnement lorsqu'elles reposent sur le vivant, comme les jardins filtrants de la société Phytorestore. La même logique est à l'oeuvre pour les déchets solides - qui ne sont que des matières premières transformées. Aujourd'hui regroupés dans des décharges, ils seront de plus en plus valorisés dans des unités de retraitement, permettant par exemple de transformer les matières organiques en biogaz ou compost, soit au niveau local, soit au niveau individuel.
Ces solutions "réparties" vont conquérir la sphère matérielle au côté des solutions "centralisées", pour les mêmes raisons qui ont permis aux PC et à Internet de conquérir la sphère immatérielle : elles décuplent l'efficacité des réseaux en étant légères, autonomes, efficaces, pratiques et adaptables...
Leur développement couvrira le moindre centimètre carré de surface exposée au soleil, au vent, ou au contact d'une source froide ou chaude - autant d'actifs aujourd'hui dormants et demain exploités. Tout comme le World Community Grid permet de valoriser les moments de dormance de milliers de PC, demain, un réseau mondial permettra d'utiliser et de mettre en réseau la capacité de chaque surface à capter de l'énergie, que ce soit pour produire de l'électricité, de la chaleur, de la biomasse, ou traiter des pollutions.
Ces technologies, perçues aujourd'hui comme des équipements immobiliers, vont évoluer vers des équipements mobiliers, voire vers des consommables, avec des cycles de renouvellement plus courts. Au même titre que la loi de Moore prédisait dans les années 1975 le doublement de la capacité des microprocesseurs tous les deux ans, l'efficacité des technologies de captage et de stockage de l'énergie solaire sous toutes ses formes (y compris le vent, la houle et la biomasse) va augmenter rapidement à l'avenir. 80 % des bâtiments du monde de 2050 restent à construire.
Maximilien Rouer, PDG de BeCitizen, co-auteur avec Anne Gouyon de "Réparer la planète. La révolution de l'économie positive" (Lattès-BeCitizen) - www.reparerlaplanete.com
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